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La mer de Chine méridionale

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La mer de Chine méridionale

Fin 2013 une importante flotte chinoise entre dans l’archipel des îles Spratleys. En seulement un an et demi, celle-ci pompe une énorme quantité de sable sous l’eau pour faire émerger 7 îlots artificiels sur lesquels des bases militaires, des ports et même des aéroports sont construits. Le pays s’impose dans l’archipel qu’il revendique et qui est déjà occupé par le Vietnam, les Philippines, Taiwan, la Malaisie et le Brunei.

Dans cette vidéo, retraçons sur cartes les origines et l’évolution du conflit qui oppose aujourd’hui 6 pays en mer de Chine méridionale.

Historiquement, la mer de Chine méridionale est un lieu de passage important pour les navires commerciaux qui relient la Chine à l’Océan indien, en passant par le détroit de Malacca. Mais la mer est très dangereuse car il y a des centaines d’îlots, de récifs, d’atolls et de bancs de sable qui sont pour la plupart immergés quelques mètres sous la surface, obligeant les navires à longer les côtes afin de ne pas s’y échouer. Cependant, depuis des siècles, des pêcheurs s’aventurent en pleine mer, autour des archipels qu’on appelle aujourd’hui Paracels et Spratleys où les eaux peu profondes sont riches en coraux et en poissons. Certains s’y sont même installés provisoirement, mais le manque d’eau potable, le peu de terre cultivable et la longue saison des pluies qui dure 5 à 6 mois par an, rendent la vie trop difficile pour s’installer durablement. Les îles ayant toutes une superficie inférieure à 3 km2, je les ai agrandi dans cette vidéo, afin de les rendre plus visibles sur la carte.

Premières occupations durables

Sans activité humaine intense, les îles ont été pendant des milliers d’années des refuges pour les oiseaux marins. L’accumulation de leurs fientes forme d'immenses couches, parfois hautes de plusieurs mètres, de ce qu’on appelle du guano, un fertilisant riche en azote utilisé dans l’agriculture. Au début du 20e siècle, la Chine, qui revendique les îles Paracels, y exploite le guano, alors que le Japon qui contrôle Taïwan depuis 1895, fait pareil dans les îles Spratleys. Mais au début des années 1930, la France revendique officiellement la souveraineté sur les deux archipels, considérant qu’ils sont historiquement liés à l’Indochine qu’elle contrôle. Le pays entame alors la construction d’une station météorologique sur l’île Pattle, puis profite d’une guerre entre la Chine et le Japon pour installer une garnison sur l’île Boisée, la plus grande île des Paracels. La Chine et le Japon contestent la revendication française. Lors de la Seconde Guerre mondiale, le Japon s’impose dans toute la mer de Chine méridionale. Mais à la fin de la guerre, les alliés reprennent le dessus, et en 1945, les États-Unis bombardent au napalm l’île Itu Aba, la plus grande des Spratleys. Après sa capitulation, le Japon est contraint d’abandonner toutes revendications en mer de Chine méridionale.

Concurrence franco-chinoise (1946 > 1954)

Après la guerre, les Philippines obtiennent leur indépendance et revendiquent à leur tour les îles Spratleys. En Indochine, la France fait face à d’importants mouvements indépendantistes et peine à reprendre le contrôle de sa colonie. La Chine en profite alors pour installer des troupes sur Itu Aba et sur l’île Boisée, puis publie une carte avec 11 traits qui intègre presque toute la mer à son territoire. Mais le pays est déchiré par une guerre civile entre les nationalistes et les communistes. En 1949, le gouvernement nationaliste de la République de Chine est vaincu et contraint de se réfugier à Taïwan où il continue de revendiquer le contrôle de l’entièreté de la Chine, y compris de la mer de Chine méridionale. Mais affaiblis, le pouvoir de Taipei rappelle ses forces encore présentes sur Itu Aba et sur l’île Boisée. En face, Mao Zedong proclame la République populaire de Chine et publie sa propre carte, qui contient cette fois 9 traits, mais qui revendique les mêmes territoires.

Le Vietnam et les Philippines (1954 > 1973)

En 1954, après la défaite et le départ de la France, le Vietnam se retrouve divisé à hauteur du 17e parallèle. Le Sud Vietnam continue de revendiquer la souveraineté sur les îles Paracels et Spratleys et envoie des troupes sur l’île Pattle. La République populaire de Chine réagit alors en envoyant des troupes sur l’île Boisée. La même année, Tomas Cloma, un aventurier philippin, s’installe sur des îles Spratleys avec 40 hommes et fonde un micro-état qu’il nomme Freedomland. Taïwan réagit à son tour et envoie des troupes sur Itu Aba, avec comme mission d’arrêter les hommes et navires de Freedomland. En 1958, le Premier Ministre Nord-Vietnamien reconnaît la souveraineté de son allié chinois sur les îles Paracels et Spratleys. Par la suite, la situation reste plutôt calme, les îles restant principalement fréquentées par des pêcheurs. Mais vers la fin des années 1960, certains rapports suggèrent que les fonds marins sont riches en gaz et en pétrole, ce qui relance l’intérêt pour les archipels. Les Philippines commencent alors à occuper certaines îles.

Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1973 > 1987)

Au Vietnam, une paix fragile est signée entre le nord et le sud, ce qui permet aux États-Unis de retirer leurs troupes. La République populaire de Chine en profite pour intensifier sa présence militaire dans les îles Paracels. Le Sud-Vietnam envoie alors une flotte militaire sur place, mais celle-ci est vaincue et la Chine prend le contrôle total de l’archipel. L’année suivante, le Nord-Vietnam envahit le Sud-Vietnam, puis proclame la République socialiste du Vietnam. Mais le nouveau pouvoir continue de revendiquer le contrôle des deux archipels et envoie des troupes occuper certaines îles Spratleys. En 1982, les Nations Unies rédigent une convention sur le droit de la mer afin d’établir des frontières maritimes et d’éviter des conflits autour des fonds marins. Désormais, chaque État peut revendiquer une Zone Économique Exclusive de 200 milles marins, soit environ 370 km, au large de ses côtes. Mais la convention doit être ratifiée par 60 états pour entrer en vigueur. Les Philippines sont les premiers à le faire dans la région, intégrant une grande partie des îles Spratleys à leur Zone Économique Exclusive. De son côté, la Malaisie commence à occuper le récif Swallow qu’elle revendique.

Montée en puissance chinoise (1987 > 2009)

En 1987 à Paris, la Chine participe à une Commission de l’UNESCO sur les océans où elle s’engage à construire une station d’observation marine. Le pays y voit une opportunité et installe son observatoire sur le récif de Fiery Cross dans les îles Spratley. La Chine qui monte en puissance entame ensuite une politique plus agressive et envoie une flotte militaire sur l’atoll du banc de l’union qui est déjà occupé par le Vietnam. Des soldats vietnamiens plantent alors un drapeau sur un banc de sable immergé face aux navires chinois. En réaction, ces derniers tirent au canon antiaérien, massacrant 64 vietnamiens. Pour la Chine, en plus des ressources sous-marines, il est désormais vital de contrôler et de sécuriser l’importante route commerciale qui traverse la mer de Chine méridionale, par où transitent le pétrole du Moyen-Orient et ses marchandises destinées à l’Europe. Le pays vote alors une loi sur ses eaux territoriales, faisant de la mer de Chine méridionale une question nationale, puis intensifie sa présence dans l’archipel, notamment sur Mischief Reef, en plein dans la Zone Économique Exclusive des Philippines. En 1994, après 60 ratifications, la Convention des nations unies sur le droit de la mer entre en application, ce qui permet au Brunei de revendiquer et d’occuper le récif Louisa. En 1996, la Chine ratifie à son tour la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, tout en continuant de revendiquer le territoire sur la base de sa carte aux 9 traits. Mais il est difficile pour le pays de défendre cette carte qui n’a pas de coordonnées précises et qui n’est pas compatible avec la Convention des Nations Unies.

Domination chinoise (2009 > 2019)

Profitant de son statut de plus grande puissance militaire dans la région, la Chine durcit encore le ton face à ses concurrents. Sa flotte s’impose désormais sur le récif Scarborough où elle chasse les pêcheurs philippins avec de puissants canons à eau. Cette fois, Manille réagit en en saisissant la Cour Permanente d’Arbitrage de La Haye. Par ailleurs, la Chine ajoute un dixième trait à sa carte pour intégrer Taiwan et envoie d’immenses navires de dragues dans l’archipel des Spratleys pour pomper 40 à 50 millions de tonnes de sable et faire émerger 7 îlots artificiels sur lesquels sont construits des bases militaires et des aéroports. Ce qui double la surface totale des terres émergées de l’archipel. Enfin plus au nord, le pays installe une plateforme pétrolière entre les Paracels et le Vietnam, ce qui provoque la colère des vietnamiens qui entament des émeutes anti-chinoises dans tout le pays, contraignant la Chine à abandonner ce projet. Autre acteur majeur dans la région, les États-Unis intensifient leur présence militaire dans la mer, officiellement pour garantir la libre navigation. En 2016, la Cour Permanente d’Arbitrage de La Haye rend son verdict. Celle-ci considère que les revendications historiques chinoises n’ont pas de base légale, et précise que juridiquement, aucune formation géologique dans l’archipel des Spratleys ne permet de revendiquer une Zone Économique Exclusive. La Chine rejette cette décision, ainsi que Taiwan qui contrôle toujours Itu Aba, la plus grande terre émergée naturelle de l’archipel et qu’elle considère être une île. Mais paradoxalement, le pays n’a pas ratifié la convention des Nations Unies sur le droit de la mer.

Situation actuelle

En 2019, le film d’animation Abominable sort. Dans une scène du film, la carte chinoise aux 10 traits apparaît brièvement. Le film est alors retiré des salles au Vietnam et est censuré en Malaisie et aux Philippines. Aujourd’hui, alors qu’environ 30% du commerce maritime international transite par la mer de Chine méridionale, la tension reste vive, chaque pays campant avec ses forces armées sur les îles qu’il contrôle. La Chine continue sa politique hostile, notamment en violant régulièrement les Zones Économiques Exclusives des autres pays. Taïwan revendique toujours la souveraineté sur l’entièreté de la mer, mais l’île prône la diplomatie pour trouver une solution pacifique entre toutes les parties. Le Vietnam qui nomme la mer “Mer Orientale”, continue de revendiquer les deux archipels sur des bases historiques. Les Philippines qui appellent la mer “Mer des Philippines occidentales” ont très récemment renforcé leurs alliances avec les États-Unis, le Japon et l’Australie, notamment autour de la coopération maritime. Enfin, la Malaisie et le Brunei revendiquent toujours les îles présentes dans leurs Zones Économiques Exclusives, d’autant plus que l’économie des deux pays dépend aujourd’hui très largement de l’exploitation du pétrole et du gaz qui s’y trouvent.