Les routes commerciales
L’encens (-1800 à -200)
Le commerce existe depuis des millénaires. Au départ de simples échanges, les distances se sont progressivement étendues et les premières routes commerciales sont apparues. Une des toutes premières routes connues est appelée la route de l’encens. Probablement vers 1800 avant notre ère, des navigateurs commencent à longer les côtes entre le sous continent indien d’où proviennent des épices telles le poivre noir ou la cannelle et le sud de la péninsule arabique où pousse un arbre qui produit de l’encens. Des caravanes de dromadaires transportent ensuite ces produits de luxe à travers le désert d’Arabie pour atteindre Petra qui devient un carrefour commercial important entre l’Egypte et la Mésopotamie. En 331 avant notre ère, Alexandre le Grand lors de ses conquêtes fonde la cité d’Alexandrie. Rapidement, des navires marchands relient la nouvelle ville au reste du bassin méditerranéen. Alexandrie devient alors le grand entrepôt du commerce entre les Indes et l’Europe.
La soie (-200 à -30)
Au Turkestan oriental, on trouve de la pierre de jade, une pierre précieuse très recherchée en Chine car elle est un signe de pouvoir et de richesse. Des nomades échangent donc le jade aux Chinois notamment contre du thé, une boisson très appréciée en milieu aride. Mais plus au nord, une confédération de tribus nomades s’étend et menace la Chine. En -139, l’empereur chinois envoie Zhang Qian en tant qu’ambassadeur vers les terres inconnues à l’Ouest pour proposer une alliance aux Yuezhi contre les Xiongnu. Mais Zhang Qian est capturé par les Xiongnu et est fait prisonnier pendant 13 ans. A son retour en Chine, il informe l’empereur sur les différents peuples d’Asie centrale et leurs produits. Il mentionne notamment une race majestueuse de chevaux inconnue en Chine. Pour en obtenir, l’empereur accepte pour la première fois d’échanger de la soie qui était jusqu'alors interdite à l’exportation. C’est l’ouverture de la route de la soie qui se prolonge petit à petit pour atteindre le Moyen-Orient.
Les Romains (-30 à 330)
A l’ouest, après la mort de Cléopâtre, l'Egypte est absorbée par la République romaine qui devient un empire. Rome améliore ainsi son approvisionnement en blé provenant d’Egypte, mais elle convoite surtout les marchandises en provenance de la péninsule arabique tels les perles, les épices et surtout l’encens qui est utilisé comme offrande et comme médicament. Mais les intermédiaires sont nombreux et l’instabilité dans la région est grande. Pour contourner la péninsule arabique, les Romains remontent le Nil et entrent en contact avec le Royaume d’Aksoum où vivent des marchands qui maîtrisent des techniques de navigation en haute mer. Ceux-ci ouvrent alors une nouvelle route vers les Indes, loin des côtes. Ils importent notamment du safran, du parfum et des diamants. La nouvelle route commerciale se développe rapidement, amorçant le déclin des villes de la péninsule arabique. Peu après, les Romains entrent en contact avec les Parthes, qui importent de la soie de Chine. Les Romains prolongent alors la route de la soie dans tout l’empire. En 224, les Parthes tombent et sont remplacés par les Sassanides, mais les échanges commerciaux se poursuivent. Alors que l’empire romain déplace sa capitale à Constantinople, qui devient le nouveau carrefour commercial entre l’Orient et l’Occident.
Les arabes (630 - 1076)
A partir de 630, les conquêtes musulmanes menacent les empires byzantins et sassanides. En s’emparant d’Alexandrie, les Arabes coupent la route entre les Indes et Constantinople. En s’étendant vers l’Est, ils se disputent maintenant les territoires d’Asie centrale avec la Chine qui veut en faire son protectorat. En 751, les deux puissances s’affrontent à Talas, la bataille tourne à l’avantage des arabes qui font des prisonniers chinois qui avouent le secret de fabrication du papier et de la soie. Après sa défaite, la Chine se détourne des routes terrestres pour se concentrer sur les routes maritimes, plus sûres et avec moins d’intermédiaires. Le pays ouvre alors ses ports aux commerçants étrangers. Rapidement, les Arabes saisissent cette opportunité et s’imposent au centre d’un vaste réseau commercial. Les Arabes produisent notamment des tapis, exploitent le bleu de cobalt et élèvent des chevaux. En Chine, ils se fournissent aussi en porcelaines. En Asie du Sud-Est et en Inde, en plus des épices, ils achètent des pierres précieuses. En Afrique, le commerce de l’or, des esclaves et de l’ivoire prend de l’ampleur. Enfin au nord, les Khazars et l'empire Byzantin les fournissent en produits européens, notamment des fourrures, du miel, du bois ou encore des esclaves. Au cœur de cet immense réseau, les villes arabes, en plein essor, se développent rapidement.
Les marchands italiens (1076 - 1453)
En Asie centrale, des tribus nomades turques menacent les califats arabes. Parmi celles-ci, les turcs Seldjoukides s’emparent de Jérusalem en 1076. Rapidement les Chrétiens qui partent en pèlerinage vers la ville sont persécutés. En réaction, le Pape Urbain II lance une croisade vers Jérusalem. Les Républiques italiennes qui maîtrisent la navigation y voient une opportunité commerciale. Elles proposent notamment de ravitailler les Chrétiens au Proche-Orient où elles obtiennent des privilèges commerciaux dans chacune des villes conquises. En 1204, la république de Venise détourne la 4ème croisade vers Constantinople qui se retrouve assiégée puis pillée. L’empire byzantin est démantelé, ce qui permet aux républiques italiennes de s’emparer du commerce entre l’Orient et l’Occident tout autour du bassin méditerrannéen. Tout au nord de l’Europe, plusieurs villes commerçantes s’unissent pour développer une route commerciale entre la mer Baltique et la mer du Nord. Novgorod exporte des fourrures, Riga des céréales, tandis que la Scandinavie exporte du hareng. En mer du Nord, on trouve les producteurs de textile en Flandres et en Angleterre.
Route des Indes (1453 - 1513)
En 1453, les Turcs s’emparent de Constantinople, déstabilisant les routes commerciales entre l’Asie et l’Europe. Le Portugal profite alors de la création de la caravelle, un navire léger et capable d’affronter les océans, pour entamer des explorations afin de tenter d’ouvrir de nouvelles routes commerciales maritimes. Le long des côtes africaines, les Portugais établissent des comptoirs et s’emparent du commerce des esclaves et de l’or. L’objectif est maintenant de contourner l’Afrique pour atteindre les Indes. La monarchie espagnole vise aussi les Indes, mais tente sa chance en explorant vers l’ouest, découvrant ainsi l’Amérique. Le Portugal atteint finalement le port de Calicut et découvre un large réseau commercial. Une flotte mamelouke est alors chargée de chasser les nouveaux concurrents. Mais les Portugais l’emportent et prennent rapidement le contrôle des points de passage clés, s’emparant du monopole du commerce dans l’océan indien. En ramenant les marchandises asiatiques directement en Europe via l’Afrique et sans intermédiaire, le Portugal s’enrichit très rapidement au détriment des puissances qui contrôlaient le passage via le Moyen-Orient.
Le galion de Manilles (1513-1600)
Pour éviter une concurrence autour des nouveaux territoires découverts, l’Espagne et le Portugal se sont mis d'accord en 1494 pour tracer le méridien de Tordesillas. Les territoires situés à l’est peuvent être revendiqués par le Portugal, ceux à l’ouest par l’Espagne. En Amérique, les conquistadors espagnols découvrent des produits inconnus dans l’ancien monde, comme la tomate, le tabac ou la pomme de terre. Mais en Europe, dans un premier temps c’est surtout la découverte du chocolat qui intéresse. Le commerce du cacao se développe, ainsi que les importations de métaux précieux et de perles qui sont le résultat des conquêtes. Mais l’Espagne vise toujours d’atteindre les Indes par l’ouest. Finalement Fernand de Magellan réussit à contourner l’Amérique et après son décès, son équipage atteint les Moluques où poussent la noix de muscade et le clou de girofle. Mais les Portugais sont déjà présents dans la région et après des conflits, les deux pays fixent une nouvelle ligne de partage des terres, mais l’Espagne colonise tout de même les Philippines. Pour y développer le commerce, les Espagnols doivent éviter les territoires portugais et repartir vers le Pacifique. Mais les courants marins les repoussent. En 1565, la route du retour est enfin trouvée plus au nord et permet de relier Manilles à Acapulco. En Amérique, les Espagnols découvrent d’immenses mines d’argent qu’ils exploitent intensément en utilisant les indigènes. A Callao, le précieux métal est chargé dans des galions qui partent pour Acapulco et Manille. Aux Philippines, des marchands chinois échangent l’argent contre des épices, du thé, de la soie et de la porcelaine qui sont ensuite ramenés à Acapulco. L’argent et les produits chinois sont alors transportés jusqu’à Veracruz d’où des convois partent régulièrement jusqu’à Séville.
Le commerce triangulaire (1600-1780)
Alors que la péninsule ibérique s’enrichit rapidement, les Hollandais, les Anglais et les Français tentent à leur tour de s’emparer de routes commerciales. Ils fondent des comptoirs le long des côtes africaines et dans l’océan indien, puis conquièrent des territoires, notamment les îles des Caraïbes où ils développent d’immenses plantations de canne à sucre qui nécessitent une main d'œuvre importante. En Europe occidentale, des marchands d’esclaves appelés les négriers partent chargés notamment de vaisselle, d’armes et d’outils qu’ils échangent dans le golfe de Guinée contre des captifs. Ceux-ci sont ensuite transportés dans des conditions extrêmes jusqu’en Amérique et sont vendus dans des plantations de canne à sucre et de café, ainsi que dans des mines, notamment de diamants au Brésil. Les navires retournent ensuite en Europe, chargés de sucre, de tabac, de rhum et de pierres précieuses. Ce commerce devient très rentable, attirant de nouveaux investisseurs. Pendant 2 siècles, entre 7 et 20 millions d’Africains selon les estimations sont déplacés en Amérique. A partir du 19ème siècle, l’abolition de l’esclavage mettra progressivement un terme au commerce triangulaire.
La révolution industrielle (1780-1854)
En Grande-Bretagne, une révolution industrielle s’enclenche notamment grâce au développement de la machine à vapeur fonctionnant au charbon. Avec la mécanisation du métier à tisser, les artisans deviennent des ouvriers et l’industrie du textile explose. En conséquence, la demande en coton bondit, jusqu’ici celui-ci provenait principalement des Indes, maintenant d’immenses plantations se développent dans les Caraïbes et au sud des États-Unis. Le Royaume Uni produit alors énormément de textiles à bon prix et cherche de nouveaux marchés pour écouler ses marchandises. Au même moment, les techniques de sidérurgie se perfectionnent et le pays devient le plus grand exportateur de fer au monde. Le fer et la machine à vapeur permettent alors de révolutionner les transports : la première ligne de chemin de fer relie les usines textiles de Manchester, au port de Liverpool, où arrivent les cargaisons de coton brut américain et indien. Sur les mers, les bateaux à vapeur commencent à remplacer progressivement les bateaux à voile. Le Royaume Uni renforce sa domination maritime, s’empare de nombreux territoires et développe un puissant réseau colonial et commercial.
Les canaux (1854-1914)
En 1854, la France obtient de l’Egypte l’autorisation de construire un canal qui reliera la Méditerranée à la mer Rouge. Un tel canal avait déjà été construit durant l’Antiquité par les Pharaons, mais avait disparu au VIIIe siècle. En 1869, le canal de Suez est inauguré et permet de faire le trajet de la route des Indes en 60 jours avec un bateau à vapeur, contre six mois avec un navire à voile via l’Afrique. Pour autant, les puissances européennes ne se détournent pas du continent africain. Après des expéditions dans les terres, les pays européens se réunissent à Berlin pour se partager l’Afrique et réglementer la colonisation. Les peuples sont soumis et les ressources pillées. En Afrique du Sud surtout, d’importantes réserves d’or et de diamants sont découvertes. En Afrique centrale, l’ivoire est exploité. Par ailleurs, d’immenses plantations se développent, notamment de caoutchouc, nécessaire pour la fabrication de bottes et de pneus alors que l’industrie automobile se développe. Mais aussi de café, de cacao, de tabac et d’autres produits qui sont destinés aux marchés européens et états-uniens. En Amérique, les États-Unis étendent leur influence. En 1904, ils achètent aux français le chantier abandonné de la construction d’un canal interocéanique qui permettrait de considérablement raccourcir la route maritime entre les océans Pacifique et Atlantique. 10 ans plus tard, le canal de Panama est inauguré, le nouveau passage clé est contrôlé par les États-Unis.
La mondialisation (1914-2001)
Pendant la Première Guerre mondiale, de nouvelles armes fonctionnant au pétrole apparaissent sur terre, sur mer et dans les airs. Dès la fin de la guerre, la demande en pétrole explose, alors que l’industrie automobile et l’aviation se développent. A cette époque, le pétrole provient principalement des États-Unis, du Mexique et de la mer Caspienne. Mais rapidement, et surtout après la Seconde Guerre mondiale, d'immenses gisements sont découverts au Moyen-Orient et en Amérique. La ressource stratégique devient abondante et bon marché, ce qui permet d’intensifier les échanges commerciaux. Le boom de l’aviation permet désormais de commercer à travers le monde via les airs. C’est le début de la mondialisation, c’est-à-dire l’accélération des échanges à l’échelle mondiale. Mais la situation au Moyen-Orient et en Afrique est de plus en plus instable. En 1967, a lieu la guerre de 6 jours, Israël occupe le Sinaï jusqu’aux rives du canal de Suez qui est fermé pendant 8 ans, forçant les navires à contourner l’Afrique. Par ailleurs, dans les années 1970, deux chocs pétroliers font exploser le prix du pétrole. Les pays qui dépendent de l’or noir sans en produire, se tournent alors vers d’autres énergies, dont le nucléaire. L’Uranium devient une ressource très demandée. Principalement extrait de mines au Canada et au Congo, rapidement, de nouveaux gisements sont exploités aux quatre coins du monde. Dans les années 1980, les États-Unis voient l’apparition d’un nouveau secteur très prometteur : l’électronique. En 1984, Apple commercialise le premier ordinateur grand public. Le succès est immédiat, le Japon emboîte rapidement le pas et amorce un développement technologique fulgurant dans sa production automobile et électronique. Plusieurs pays d’Extrême Orient s’inspirent alors du Japon et se spécialisent dans l’exportation de composants électroniques. Les terres rares, des métaux qui entrent dans la fabrication électronique, deviennent une matière première stratégique, tandis que l’immense majorité des gisements découverts sont en Chine.
Les nouvelles routes de la soie (2001-2021)
En 2001, la Chine devient membre de l’Organisation mondiale du commerce. Le pays attire des entreprises étrangères notamment grâce à sa main-d'œuvre bon marché. En parallèle, des avantages sont octroyés aux investisseurs étrangers et les quotas d’exportation sont supprimés. Rapidement, le textile ‘made in China’ inonde les marchés états-uniens et européens. De nombreuses entreprises délocalisent leurs usines en Chine, le pays devient progressivement l’usine du monde, son économie explose, permettant un développement rapide. Pour sécuriser son économie, le pays entame en 2013 la création des nouvelles routes de la soie. L’objectif étant d’assurer son approvisionnement en matières premières et d’augmenter ses exportations de produits manufacturiers, d’acier ou d’aluminium. A travers le monde, des routes, des lignes ferroviaires et des ports maritimes sont massivement financés par la Chine, dans le but de connecter le pays à tous les continents. De nouvelles initiatives sont évoquées, comme la construction d’une ligne de chemin de fer qui relierait la Chine aux États-Unis en passant par un tunnel sous le détroit de Béring, ou la construction d’un canal interocéanique au Nicaragua. Si certains pays s’opposent à ce projet, la Chine a déjà convaincu 143 environ 140 pays d’accueillir ces nouvelles routes de la soie, qui devraient être finalisées pour 2049, date à laquelle la République populaire de Chine fêtera les 100 ans de sa création.
Situation actuelle
Selon les estimations, le premier commerce mondial est celui des armes, vient en deuxième place le commerce des drogues avec un chiffre d'affaires annuel estimé à près de 500 milliards de dollars. Ce commerce clandestin est contrôlé par des réseaux criminels. Le pavot d’opium est produit en Asie dans le triangle d’or et dans le croissant d’or. Le cannabis est majoritairement produit en Afrique du nord, enfin la cocaïne provient essentiellement de Colombie. Les drogues sont acheminées par différentes voies jusqu’en Europe et aux États-Unis qui sont les plus gros consommateurs. Aujourd'hui, la principale route commerciale maritime fait le tour du globe, passant par des détroits et canaux stratégiques. Elle passe par l’Amérique du nord, le canal de Panama, l'Europe, la Méditerranée, le canal de Suez, l’océan Indien et l’Asie. Par ailleurs, la recherche de nouvelles routes commerciales ne s’est jamais arrêtée. Au Pôle nord, la fonte des glaces provoquée par le dérèglement climatique permet d’envisager l’ouverture de nouvelles routes maritimes plus courtes et donc moins coûteuses en carburant, évitant les taxes de passage à Suez ou à Panama. Ces nouvelles routes profiteraient notamment à la Russie ou au Canada. Les grandes puissances ont bien compris l’enjeu de ces potentielles futures routes. Ainsi les États-Unis et l’Union européenne y revendiquent la libre navigation, tandis que la Chine entend y développer une route de la soie polaire.